« L’impact investing à la sauce africaine : entre storytelling et rigueur des preuves », par Majid Touré de Green Future Africa

« L’impact investing à la sauce africaine : entre storytelling et rigueur des preuves », par Majid Touré de Green Future Africa

L’impact investing à la sauce africaine : entre storytelling et rigueur des preuves

Au croisement du capital-risque et de l’économie à impact, l’investissement à impact (ou impact investing) s’impose depuis une décennie comme une réponse ambitieuse aux défis du développement durable. Sur le continent africain, où les besoins de financement sont colossaux, cette approche attire autant qu’elle interroge. Entre récits inspirants et nécessité de résultats concrets, l’impact investing « à la sauce africaine » est en pleine mutation.

Définir l’impact dans un contexte africain
L’investissement à impact vise à générer intentionnellement un impact social et/ou environnemental positif, mesurable, parallèlement à un rendement financier. Dans le contexte africain, cela peut se traduire par :
* La création d’emplois pour des jeunes ruraux
* L’accès à l’eau, à l’énergie ou à la santé
* La régénération des terres ou la décarbonation des villes
* L’inclusion des femmes dans la chaîne de valeur agricole

Cependant, la réalité des PME africaines impose des adaptations : résilience, informalité, lenteur d’accès au marché et dépendance au cash-flow complexifient la mise en œuvre de modèles de preuve standardisés.

Le règne du storytelling : opportunité ou limite ?
Les investisseurs d’impact sont friands d’histoires inspirantes, et les entrepreneurs africains en ont à revendre.
* Une agripreneure transformant les déchets d’ananas en engrais bio ;
* Un jeune incubateur formant des artisans solaires dans les zones hors-réseau ;
* Une coopérative féminine relançant une filière oubliée…

Mais ce storytelling aussi authentique soit-il ne suffit plus. Les investisseurs institutionnels et family offices réclament désormais :
* Des indicateurs clairs et comparables d’impact
* Des outils de suivi rigoureux (ex. : IRIS+, SDG Impact, GIIRS)
* Des preuves tangibles de scalabilité et de pérennité

Tendance actuelle : la fin de la narration émotionnelle non quantifiée, au profit de modèles hybrides mêlant récit, preuve, et pilotage stratégique.

La rigueur des preuves : un impératif pour grandir
De plus en plus, les fonds à impact exigent :
* Un théorie du changement solide, articulée autour des ODD
* Des tableaux de bord d’impact intégrés à la gestion stratégique
* Des systèmes de Suivi-Évaluation (S&E) digitalisés ou externalisés
* Une capacité à produire des rapports ESG trimestriels ou annuels

Mais beaucoup de PME africaines sont peu ou pas outillées. La conséquence ?
* Faible accès aux fonds patient (> 250 000 $)
* Difficulté à franchir la « vallée de la mort » entre pilote et industrialisation
* Risque d’être exclues des marchés de la finance responsable émergente

Des modèles africains hybrides émergent
Face à cette tension entre narration locale et exigence internationale, de nouvelles approches apparaissent :
* Des incubateurs comme Janngo Capital, Impact Hub Dakar ou Seedstars Africa Ventures accompagnent les start-ups dans la structuration de leur impact dès la phase de pré-amorçage.
* Des plateformes comme GIIN Africa Initiative, Roots of Impact, ou ACFIM diffusent des outils contextualisés de mesure.
* Des dispositifs innovants comme les Social Impact Incentives (SIINC) ou le results-based finance combinent storytelling, résultats vérifiables et financement public-privé.

Que faire pour renforcer l’impact investing africain ?
Pour passer à l’échelle, trois leviers sont prioritaires :
* Former les entrepreneurs à la gestion de l’impact au même titre que la finance ou le marketing
* Adapter les outils de reporting ESG et d’évaluation au contexte local (ex. scorecards simplifiés, narratifs de proximité)
* Mobiliser les fonds publics, philanthropiques et climat pour dé-risquer l’investissement privé (blended finance, garanties, subventions de structuration)

Faire converger sens et rigueur
L’Afrique regorge de projets à impact puissants, portés par des femmes et des hommes engagés, souvent dans des conditions extrêmes. L’enjeu n’est pas de leur imposer une standardisation aveugle, mais de leur donner les moyens de démontrer l’impact qu’ils produisent déjà.

L’impact investing « à la sauce africaine » devra rester ancré dans la réalité du terrain tout en répondant aux standards globaux. C’est à cette condition que le capital patient deviendra un levier de transformation systémique et non une opportunité perdue.

Majid Touré, fondateur de Green Future Africa

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