« Corruption, ESG et RSE en Afrique : quand l’opacité fragilise la durabilité », intervention d’Affectio Mutandi lors de la conférence « Corruption en Afrique : un fléau endémique »

« Corruption, ESG et RSE en Afrique : quand l’opacité fragilise la durabilité », intervention d’Affectio Mutandi lors de la conférence « Corruption en Afrique : un fléau endémique »

« Corruption, ESG et RSE en Afrique : quand l’opacité fragilise la durabilité »
Synthèse de l’intervention de Pierre-Samuel Guedj, Président d’Affectio Mutandi & de la Commission RSE&ODD du CIAN, lors de la conférence « Corruption en Afrique : un fléau endémique » le 29 septembre 2025.

Introduction
La corruption constitue l’un des défis structurels majeurs de la gouvernance africaine. Si le continent a amorcé une dynamique en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et d’intégration des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), ces démarches peinent à produire leurs effets systémiques.
Le paradoxe est manifeste : l’Afrique est un laboratoire mondial de l’ESG – avec des enjeux critiques en matière de climat, de ressources naturelles et de développement social – mais la corruption empêche la consolidation de la durabilité comme levier de croissance inclusive.

Cet essai propose une analyse synthétique critique des interactions négatives entre corruption, ESG et RSE, avant d’esquisser des perspectives pour une gouvernance africaine plus transparente et alignée sur les standards internationaux.

I. La corruption comme frein à la gouvernance ESG
1.1 Capture institutionnelle et opacité réglementaire
Les cadres juridiques africains se sont enrichis en matière de transparence (lois RSE au Gabon, initiatives régionales OHADA, intégration des normes ITIE). Cependant, leur application est fragilisée par des institutions vulnérables à la capture par des intérêts privés ou politiques. L’octroi de licences minières, pétrolières ou forestières illustre cette dérive : les procédures d’appel d’offres sont souvent biaisées, compromettant la crédibilité des engagements ESG.
1.2 Érosion de la redevabilité
La corruption affaiblit les mécanismes de contrôle – audits, reporting extra-financier, juridictions spécialisées – qui constituent le socle de l’ESG. L’absence de sanctions effectives face aux violations environnementales ou sociales entretient une culture d’impunité.

II. La RSE détournée par la corruption
2.1 Une « RSE de façade »
Nombre d’entreprises opèrent dans un environnement où la RSE devient un outil de réputation plus qu’une stratégie de transformation. La corruption alimente cette dérive : sponsoring, dons sociaux et actions philanthropiques servent à masquer des pratiques opaques, notamment dans le secteur extractif.
2.2 Captation des bénéfices sociaux
Les budgets destinés aux communautés locales (écoles, hôpitaux, infrastructures) sont fréquemment détournés, réduisant la portée des projets. Cette captation alimente une défiance des populations, qui perçoivent la RSE comme une stratégie d’enfumage.
2.3 Distorsion concurrentielle
Les entreprises engagées dans une démarche de RSE authentique sont désavantagées face à des concurrents recourant à la corruption pour obtenir permis, avantages fiscaux ou tolérance réglementaire. Le jeu économique est faussé, ce qui dissuade les acteurs responsables.

III. Impact systémique sur la durabilité et l’investissement responsable
3.1 Défiance internationale
Les investisseurs responsables, fonds ESG et bailleurs internationaux doutent de la fiabilité des données africaines en matière de durabilité. La corruption alimente le soupçon de « greenwashing » et réduit l’attractivité du continent pour les capitaux responsables.
3.2 Rupture de confiance Afrique-Europe
La convergence normative avec l’Europe (CSRD, CS3D, taxonomie verte) est entravée par l’opacité des pratiques locales. Les relations économiques s’en trouvent fragilisées, car la confiance est une condition préalable au partenariat.
3.3 Vulnérabilité climatique
La corruption menace également la gestion des financements liés au climat (fonds verts, REDD+). Le détournement de ces ressources fragilise la capacité du continent à renforcer sa résilience face au changement climatique.

IV. Secteurs les plus exposés
– Extractif et minier : octroi de licences, contrats de sous-traitance et respect des normes environnementales fortement affectés.
– Infrastructures et marchés publics : appels d’offres biaisés, faible intégration des critères sociaux et environnementaux.
– Énergie et climat : financements verts détournés, compromettant la transition énergétique.

V. Vers une reconfiguration de la RSE africaine
5.1 Faire de l’anticorruption un pilier de la RSE
L’ESG en Afrique ne peut se limiter à l’environnement et au social : la lutte anticorruption doit constituer un quatrième pilier des politiques de durabilité. Cela suppose de renforcer la transparence des flux financiers, d’exiger des audits indépendants et de conditionner l’accès aux financements internationaux au respect de critères d’intégrité.
5.2 Impliquer les communautés dans la gouvernance
La participation des communautés locales aux mécanismes de suivi est essentielle pour limiter les détournements. Les pratiques de « community-based monitoring » renforcent la redevabilité et restaurent la confiance.
5.3 Convergence normative et coopération internationale
L’alignement avec les standards internationaux (OCDE, ONU, UE) et la coopération judiciaire transnationale sont indispensables pour réduire l’espace de l’opacité. Les instruments comme la directive CS3D offrent une opportunité pour ancrer la vigilance dans les chaînes de valeur africaines.

Conclusion
La corruption constitue un frein structurel à l’émergence d’une gouvernance ESG crédible en Afrique. Elle détourne la RSE de ses objectifs, fragilise les relations économiques internationales et réduit la capacité du continent à relever les défis sociaux et climatiques. Réduire la corruption n’est pas seulement un impératif moral : c’est une condition sine qua non pour faire de l’ESG et de la RSE des leviers réels de transformation systémique. L’Afrique se trouve à un carrefour : continuer à tolérer l’opacité, au risque de marginaliser son rôle dans l’économie durable mondiale, ou faire de la transparence et de l’intégrité les véritables piliers de son développement.

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