
« Storytelling ou truthtelling : le tournant de vérité pour la communication responsable sur la durabilité », par Pierre-Samuel Guedj, Président d’Affectio Mutandi
Storytelling ou truthtelling : le tournant de vérité pour une communication responsable sur la durabilité », par Pierre-Samuel Guedj, Président d’Affectio Mutandi, ancien Directeur de Burson-Marsteller, Associé chez Publicis Consultants & Président Directeur général de Fleishman-Hillard.
À l’heure où les défis environnementaux, sociaux et de gouvernance exigent des transformations systémiques, le rôle de la communication d’entreprise est plus que jamais central. Mais cette communication peut-elle rester un simple art du récit, ou doit-elle désormais devenir un exercice de vérité ? La réponse engage l’avenir même de la durabilité.
Le storytelling, entre outil d’adhésion et écran de fumée
Depuis une décennie, le storytelling s’est imposé comme une modalité efficace pour valoriser les engagements RSE. Raconter comment une entreprise « change des vies », comment elle « agit pour la planète » ou « donne du sens » à ses activités permet d’incarner ses intentions, de mobiliser les parties prenantes, de créer de la sympathie.
Mais à force de privilégier l’émotion sur la démonstration, le storytelling devient un outil de sélection narrative, occultant ce qui dérange, mettant en lumière quelques cas exemplaires, isolés, souvent déconnectés des pratiques globales. Il devient un décor flatteur qui ne dit pas grand-chose de la réalité systémique de l’entreprise. C’est ainsi qu’il alimente, souvent à son insu, le greenwashing ou l’impactwashing.
En diffusant une illusion de progrès non étayée par des preuves robustes, il freine l’exigence des parties prenantes, décourage les remises en question profondes et contribue à retarder les mutations réelles. Le récit prend le pas sur le réel, le marketing sur la redevabilité.
L’urgence du truthtelling : une nouvelle éthique de la parole
Face à ce risque, une autre voie émerge : celle du truthtelling, le discours de vérité fondé sur des preuves objectives, mesurables, vérifiables. Il ne s’agit plus simplement de bien raconter une histoire, mais de rendre compte d’une trajectoire, dans sa complexité, ses tensions, ses avancées et ses limites.
Cette posture suppose une transparence assumée : sur ce qui va, mais aussi sur ce qui reste à faire. Elle repose sur des cadres robustes de reporting, comme la directive CSRD, qui impose aux entreprises européennes un reporting extra-financier fondé sur la double matérialité, auditable, traçable. Elle s’appuie également sur des référentiels émergents comme ESG1000, qui cherchent à structurer une lecture fiable et certifiante des performances durables.
Dans cette approche, la communication devient une preuve, et non plus une vitrine. Elle parle moins fort, mais elle parle vrai.
Réconcilier récit et vérité
Ce basculement ne signifie pas renoncer au récit. Mais il impose de réconcilier le narratif et le factuel, l’émotion et la démonstration. Un récit peut rester puissant, mais il doit être habité par des faits, étayé par des indicateurs, inscrit dans une démarche de progrès.
Le storytelling responsable ne maquille pas la réalité : il la rend lisible, partageable, compréhensible, sans travestir les zones d’ombre. Il ne se contente pas d’illustrer quelques « belles histoires » : il documente une transformation globale, dans son authenticité.
En somme, passer du marketing de l’impact à une culture de la preuve
Les entreprises qui réussiront la transition durable sont celles qui auront le courage de dire la vérité, même quand elle est inconfortable. Celles qui sauront faire de la sincérité un levier de confiance. Celles qui comprendront que dans un monde saturé de promesses, l’exigence de preuve est la nouvelle crédibilité et le nouveau facteur de préférence.
Il est temps de passer du marketing de l’impact à la culture de la preuve. Le storytelling ne suffit plus. Le truthtelling est devenu une exigence stratégique, éthique et démocratique.