Quelles spécificités de la décarbonation des activités en Afrique ? Une synthèse de Pierre-Samuel Guedj, Président d’Affectio Mutandi

Quelles spécificités de la décarbonation des activités en Afrique ? Une synthèse de Pierre-Samuel Guedj, Président d’Affectio Mutandi

Quel est le cycle de décarbonation des activités industrielles ? Quelles sont les spécificités de la décarbonation des activités économiques en Afrique ? Une synthèse de Pierre-Samuel Guedj, Président d’Affectio Mutandi & de la commission RSE&ODD du CIAN.

Le cycle de décarbonation des activités industrielles se réfère à l’ensemble des étapes et stratégies mises en place pour réduire les émissions de carbone liées aux processus industriels. Ce cycle vise à atteindre la neutralité carbone ou à minimiser les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans la production et l’exploitation des activités industrielles. Voici les principales étapes de ce cycle :

1. Évaluation des émissions de carbone
La première étape consiste à évaluer l’empreinte carbone de l’entreprise ou de l’activité industrielle. Il s’agit de mesurer les émissions de gaz à effet de serre (CO₂, CH₄, N₂O, etc.) générées par les différentes étapes de la chaîne de production :
• Scope 1 : Les émissions directes (liées à la combustion d’énergie fossile dans les installations industrielles).
• Scope 2 : Les émissions indirectes liées à la consommation d’électricité ou d’énergie achetée.
• Scope 3 : Les émissions indirectes liées à l’ensemble de la chaîne de valeur (extraction des matières premières, transport, utilisation des produits, etc.).

2. Optimisation des procédés et de l’efficacité énergétique
Une fois les émissions identifiées, la seconde étape est de réduire la consommation d’énergie à chaque étape du processus industriel :
• Modernisation des équipements : remplacer les machines obsolètes par des technologies plus efficaces énergétiquement.
• Automatisation et digitalisation : optimiser les processus grâce à l’intelligence artificielle, l’Internet des objets (IoT) ou des systèmes de gestion de l’énergie.
• Récupération de chaleur : récupérer et réutiliser la chaleur excédentaire des processus industriels.
• Maintenance préventive : réduire les pertes énergétiques liées à l’usure des équipements.

3. Transition vers des énergies bas-carbone
L’une des étapes centrales du cycle est le passage à des sources d’énergie renouvelable ou à faible émission de carbone :
• Énergies renouvelables : Utilisation de l’énergie solaire, éolienne, hydroélectrique ou biomasse pour alimenter les installations.
• Hydrogène vert : Remplacement des carburants fossiles par de l’hydrogène produit à partir d’énergies renouvelables, particulièrement pour les industries lourdes.
• Électrification : Substituer les énergies fossiles par une électricité d’origine renouvelable dans les processus de production (ex. électrification des fours ou des processus de chauffage).

4. Utilisation de matériaux décarbonés et recyclés
L’intégration de matériaux plus durables ou recyclés permet de réduire l’empreinte carbone dès la phase de production :
• Écoconception : Concevoir des produits plus légers, recyclables ou moins gourmands en énergie.
• Économie circulaire : Réutiliser des matériaux et favoriser le recyclage pour limiter la demande en matières premières vierges.
• Substitution des matières premières : Remplacer les matériaux à forte empreinte carbone (comme l’acier ou le béton) par des alternatives plus respectueuses de l’environnement.

5. Captage et stockage du carbone (CCS)
Lorsque les réductions d’émissions sont difficiles à atteindre, une solution est de recourir au captage et stockage du CO₂ (technologie CCS) :
• Captage : Capturer le CO₂ à la sortie des cheminées industrielles avant qu’il ne soit relâché dans l’atmosphère.
• Stockage : Stocker ce CO₂ dans des formations géologiques profondes ou l’utiliser pour des applications industrielles (ex. pour améliorer la récupération du pétrole ou fabriquer des produits à base de CO₂).
• Utilisation : Valoriser le CO₂ capturé en le transformant en produits chimiques, carburants ou matériaux de construction.

6. Neutralisation résiduelle des émissions
Une fois que toutes les réductions possibles ont été faites, l’entreprise doit compenser les émissions résiduelles par des mécanismes de compensation carbone :
• Achat de crédits carbone : Investir dans des projets de réduction d’émissions (plantation d’arbres, restauration d’écosystèmes, projets d’énergie renouvelable, etc.) dans d’autres secteurs ou régions.
• Solutions naturelles de compensation : Favoriser des pratiques qui séquestrent naturellement le carbone (reforestation, agroforesterie, protection des sols, etc.).

7. Suivi, ajustement et reporting
La décarbonation étant un processus continu, il est crucial de suivre l’évolution des émissions et de réajuster les actions en fonction des résultats obtenus :
• Mise en place d’indicateurs de performance : Suivre les progrès en matière de réduction d’émissions via des KPIs (Key Performance Indicators) dédiés.
• Rapport de durabilité : Publier régulièrement les résultats et les stratégies de décarbonation pour assurer la transparence.
• Certification et conformité : Se conformer aux standards et certifications environnementales (ISO 14001, Science-Based Targets, etc.).

8. Innovation et recherche
Enfin, l’industrie doit continuer à investir dans la recherche et l’innovation pour développer de nouvelles technologies de décarbonation et améliorer l’efficacité des processus :
• Partenariats technologiques : Collaborer avec des startups, des centres de recherche ou d’autres entreprises pour co-développer des solutions innovantes.
• Expérimentation : Tester des nouvelles approches comme les procédés de fabrication à base de carbone négatif ou la bioéconomie industrielle.

Résultat attendu : la neutralité carbone.
Le but ultime du cycle de décarbonation est d’atteindre la neutralité carbone, où les émissions de GES sont réduites au maximum et les émissions résiduelles compensées, permettant ainsi à l’industrie de ne plus contribuer au réchauffement climatique.

En résumé, le cycle de décarbonation des activités industrielles est un processus intégré et itératif, qui demande à la fois des changements technologiques, des innovations en termes de procédés et de matériaux, ainsi qu’une gestion rigoureuse des émissions tout au long de la chaîne de valeur.

Quelles sont les spécificités de la décarbonation des activités économiques en Afrique ?

La décarbonation des activités économiques en Afrique présente des spécificités uniques, en raison des caractéristiques socio-économiques, environnementales et énergétiques propres au continent. Voici quelques aspects distinctifs à prendre en compte :

1. Dépendance aux énergies fossiles et défis énergétiques
• Accès limité à l’électricité : Environ 600 millions de personnes en Afrique subsaharienne n’ont pas accès à l’électricité. Les systèmes énergétiques sont souvent dépendants de sources fossiles comme le charbon et le pétrole, mais aussi de la biomasse traditionnelle (bois, charbon de bois) qui, bien que renouvelable, est mal exploitée et contribue à la déforestation et aux émissions de GES.
• Mix énergétique fossile : De nombreux pays africains, en particulier ceux riches en ressources pétrolières (Nigeria, Angola, Algérie, etc.), dépendent des combustibles fossiles pour leurs revenus économiques et pour leur production d’énergie. La décarbonation implique donc une transition complexe qui pourrait affecter les budgets nationaux et l’emploi.

2. Importance des énergies renouvelables
• Potentiel énorme en énergies renouvelables : L’Afrique possède l’un des plus grands potentiels mondiaux en termes d’énergies renouvelables, notamment solaire, éolienne, hydroélectrique et géothermique. Le soleil y est abondant et pourrait largement répondre aux besoins énergétiques croissants, tandis que certaines régions (comme la Corne de l’Afrique) sont également adaptées à l’éolien. Le Kenya, par exemple, tire une part importante de son électricité de l’énergie géothermique.
• Projets solaires décentralisés : De nombreuses initiatives visent à promouvoir des solutions décentralisées comme les mini-réseaux et les systèmes solaires domestiques, qui permettent d’apporter de l’énergie propre dans les zones rurales éloignées.

3. Secteurs d’émissions clés
• Agriculture et déforestation : Le secteur agricole est l’un des plus gros contributeurs aux émissions de GES en Afrique, en raison des pratiques non durables, de la déforestation pour l’agriculture, et de l’élevage. La décarbonation dans ce domaine passe par l’adoption de pratiques agricoles plus résilientes au climat (agroforesterie, agriculture de conservation) et par des politiques de reforestation.
• Industrie extractive : De nombreux pays africains sont fortement dépendants des industries minières et extractives (pétrole, gaz, minerais). La décarbonation de ces secteurs est difficile, car ils sont énergivores et émetteurs de CO₂. Cependant, certains acteurs investissent dans des solutions pour réduire leur empreinte carbone, comme l’utilisation de l’hydrogène pour les mines ou l’électrification des machines.

4. Financement et technologies vertes
• Manque d’accès au financement : Le financement reste un obstacle majeur pour la transition énergétique et la décarbonation en Afrique. Les infrastructures sont coûteuses et de nombreux pays manquent des fonds nécessaires pour mettre en place des projets à grande échelle dans les énergies renouvelables ou dans l’adoption de technologies vertes. Les investissements étrangers et les financements climatiques internationaux (Fonds vert pour le climat, etc.) sont donc essentiels.
• Technologie et innovation : La transition vers des technologies propres nécessite des capacités techniques, qui ne sont pas encore suffisamment développées dans de nombreuses régions du continent. Les partenariats avec des entreprises internationales, le transfert de technologies, et le renforcement des compétences locales sont des leviers importants pour la décarbonation.

5. Vulnérabilité climatique et adaptation
• Impact disproportionné du changement climatique : Bien que l’Afrique contribue peu aux émissions mondiales de CO₂ (moins de 4 % des émissions mondiales), elle est l’une des régions les plus vulnérables aux impacts du changement climatique (sécheresses, inondations, stress hydrique, insécurité alimentaire). La décarbonation doit donc être intégrée à des stratégies d’adaptation pour rendre les systèmes économiques et agricoles plus résilients au changement climatique.
• Focus sur l’adaptation : Pour beaucoup de pays africains, l’adaptation aux impacts climatiques actuels est aussi prioritaire que la décarbonation. Cela comprend des initiatives telles que la gestion durable de l’eau, la diversification des cultures pour l’agriculture résiliente au climat, et l’amélioration des infrastructures contre les catastrophes naturelles.

6. Urbanisation rapide et opportunités de transition
• Urbanisation accélérée : L’Afrique connaît un taux d’urbanisation très rapide, avec de nouvelles villes et infrastructures en cours de développement. Cela offre une opportunité unique de concevoir des villes basses en carbone, en intégrant des solutions de transport public écologiques, des bâtiments écoénergétiques, et des réseaux d’énergie renouvelable dès le départ. Cependant, sans une planification adéquate, cette urbanisation peut entraîner une augmentation des émissions.
• Mobilité et transport : Le secteur des transports, particulièrement dans les grandes villes, est l’une des sources d’émissions les plus croissantes sur le continent. La promotion des transports en commun électrifiés, des véhicules électriques, et la réduction de la congestion urbaine représentent des défis majeurs pour la décarbonation.

7. Inclusion sociale et développement durable
• Développement économique et justice climatique : La décarbonation en Afrique doit être alignée sur les objectifs de développement socio-économique. De nombreux pays font face à des défis de pauvreté, de chômage et d’inégalités. La transition vers une économie verte doit être inclusive et fournir des opportunités d’emploi (ex. dans les énergies renouvelables) tout en garantissant que les communautés les plus vulnérables ne soient pas laissées pour compte.
• Économie circulaire : L’adoption de modèles d’économie circulaire (recyclage, réutilisation des matériaux, gestion des déchets) représente une opportunité pour réduire les émissions et renforcer la durabilité dans des secteurs comme la gestion des déchets, la construction ou l’industrie manufacturière.

8. Politiques et gouvernance
• Politiques climatiques émergentes : Plusieurs pays africains adoptent des politiques climatiques ambitieuses, mais leur mise en œuvre reste souvent freinée par des contraintes économiques et institutionnelles. Des stratégies nationales de décarbonation sont en cours d’élaboration, mais le renforcement des institutions locales et la bonne gouvernance sont essentiels pour atteindre les objectifs climatiques.
• Partenariats internationaux : L’Afrique dépend fortement de la coopération internationale pour soutenir sa transition énergétique et sa décarbonation. Des initiatives telles que l’Accord de Paris et l’engagement des pays industrialisés à soutenir financièrement les pays en développement sont cruciales pour accélérer la mise en œuvre des actions climatiques sur le continent.

En résumé :
La décarbonation des activités économiques en Afrique doit s’appuyer sur une approche à double dimension : réduction des émissions à travers la transition vers les énergies renouvelables et les technologies vertes, et adaptation aux impacts inévitables du changement climatique. Cependant, pour réussir, cette transition doit être inclusive, tenant compte des priorités de développement du continent, tout en renforçant les capacités locales et en accédant aux financements internationaux.

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